La Nuit Etoilée fu
t une revue illustrée rédigée par des artistes, des écrivains et des chercheurs internationaux.
Son regard exigeant et libre parcourait les arts passés et présents,
l'image et le langage,
dans des travaux inédits et de qualité.

Ce blog réunit quelques articles des 7 numéros parus de 2010 à 2012.

samedi 5 mars 2011

Pour Wikileaks

Constellation de connections Internet (DR)
par Pascal Rousse


Clivage des générations, des classes: Wikileaks passionne, révolutionne et secoue Internet d'un vent de liberté. Pourquoi ce site est-il la cible d'attaques, quels sont les enjeux qu'il fait surgir?

Si internet, après trente ans d’existence, suscite toujours tant de passions, cela tient à son ambiguïté radicale en régime néolibéral, ce qui en fait le champ de bataille du contemporain. Le nerf d’internet, c’est le caractère potentiellement illimité qu’il confère à la démocratisation de l’information et de la liberté d’expression et, au revers, les fantasmes de contrôle illimité qu’il engendre, aussi bien du côté du pouvoir que des gens ordinaires et des esprits libertaires.
Wikileaks cristallise les clivages entre générations, ainsi qu’entre « experts » et citoyens ordinaires. La polarisation entre les plus et les moins de quarante ans tout comme entre les élites (ceux qui subordonnent le savoir au pouvoir) et la masse est frappante. Même des professeurs de philosophie ou des experts es médias et images en minimisent la portée historique tout en condamnant la divulgation de sources diplomatiques au nom de la défense de la démocratie. Mais, ce qui fait partout sens dans cette confusion, c’est bien la faillite des élites. Celles-ci sont incapables de renouveler les formes de vie démocratique, lesquelles ne cessent de s’éroder dans leurs propres patries sous l’action violente et dissolvante du néolibéralisme, dont la logique totalitaire se fait de plus en plus sentir. Tout indique qu’un combat décisif s’est engagé sur le terrain de la communication en réseau entre les partisans de la liberté de conscience et les dévots d’un système autorégulé, fondé sur le refus des valeurs et du choix dans un consensus éclairé. Un fait ne trompe pas à cet égard : la collaboration à la répression des principales banques de paiement en ligne, par leur refus de recevoir et de transmettre des dons en faveur de Wikileaks, de même que le refus d’un site d’achat en ligne d’en héberger des données. Désormais, nul ne pourra ignorer que le marché n’est pas neutre envers l’État et la diffusion des contenus, et donc ne peut plus se prétendre le garant de la liberté d’expression. Car, quand celle-ci touche aux intérêts vitaux du pouvoir, alors la répression se déchaîne : le rôle de censure et d’inquisition qu’est appelé à jouer le pouvoir économique intégré du néolibéralisme vient d’apparaître dans sa hideuse crudité. Cela se passe-t-il en Chine ou en Iran cette fois ? Non, mais aux États-Unis et avec la complicité de l’Europe, censés être les berceaux et les gardiens de la démocratie dans le monde ! Il est vain de se focaliser sur le personnage de Julian Assange (comme de Mark Zuckerberg) : c’est un rien dont tout est sorti. On peut toujours et encore dire que le bien est mal et que le mal est bien en prétendant que la demande de transparence recouvre des « pulsions totalitaires ». On ne fait toujours que tomber le masque de l’hypocrisie et du chantage. Car le coup décisif porté par Wikileaks, dont tous sont obligés de reconnaître qu’il a d’ores et déjà changé les règles du jeu dans la guerre de l’information, qui est une guerre pour la vérité, n’émane pas d’un groupe terroriste, ni de la manipulation d’un grand État, mais de cette nouvelle société civile qui exprime son désir de justice grâce à internet, comme viennent de le montrer avec éclat les jeunes Iraniens, Tunisiens, Égyptiens, Lybiens ! Si Wikileaks s’est d’abord attaqué aux États-Unis, c’est parce que le sentiment que la première puissance (en déclin) persiste à verrouiller le jeu planétaire à son profit est très globalement partagé et que, face à la crise endémique, le chantage au chaos ne prend plus. Le passage par le chaos apparaît même de plus en plus comme la seule chance de relancer la marche du temps. Il se pourrait que Wikileaks soit la première figure proprement révolutionnaire d’internet. Quelle que soit l’issue de la bataille qui vient de s’engager, le roi est nu de nouveau et a donc perdu irrémédiablement une part considérable de la légitimité qui pouvait encore lui rester.

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